LA BATAIlle du souffre

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Jadis réservé aux œnologues et au vocabulaire technique de la vinification, le soufre est aujourd’hui sur toutes les lèvres ou presque ! Mais concrètement de quoi s’agit-il ? Comment l’utilise-t-on et pourquoi déchaine-t-il les passions ?


En préambule il est bon de rappeler que le vin est un produit vivant qui connaît trois stades d’évolution : le raisin -> le vin -> le vin-aigre. Si le soufre est utilisé en vinification c’est donc pour contrôler cette évolution. Il faut également préciser que d’autres termes sont employés pour désigner le soufre : sulfites, S02, dioxyde de soufre. Soyons clair, l’ensemble de ces mots signifie bien la même chose !

Ajoutons également que les vins contiennent naturellement des sulfites. La majorité des étiquettes de bouteille indique la mention « contient des sulfites », mention obligatoire au-delà de 10mg/L de SO2 dans le vin. Les vins dits « nature » porteront la mention « sans sulfites ajoutés ».


Pourquoi l’utilise t-on ?

Le soufre a deux propriétés qui intéressent le vigneron :

  • C’est un antiseptique qui permet de lutter contre le développement de micro-organismes et de bactéries.

  • C’est un antioxydant qui protège le vin de l’air et donc du phénomène d’oxydation.


Le soufre utilisé lors de la vinification se présente sous la forme liquide ou de pastille que l’on incorpore dans le vin. Le souffre peut aussi être employé en dehors de la vinification et notamment pour désinfecter les fûts grâce à la technique du méchage. Concrètement, pour stériliser un fût, le vigneron laisse brûler une mèche de soufre à l’intérieur de la barrique.


Enfin, le soufre est également utilisé dans la culture de la vigne pour protéger la plante. Dans ce cas, le soufre prend la forme d’une poudre jaune que l’on pulvérise dans les vignes pour les protéger de maladie telle que l’oïdium. Attention, dans les lignes qui suivent, on se concentre uniquement sur le soufre dans la partie vinification, c’est-à-dire lors de la fabrication du vin. On laisse ainsi de côté le soufre employé dans les fûts ou à la vigne.


De quels inconvénients nous protègent les sulfites ?


Comme mentionné plus haut, le vin est un produit vivant. Sans l’ajout de sulfites, le vin peut développer des goûts déviants : odeur d’écurie, sueur animale, humidité. Ces arômes sont dus au travail de levures non désirées comme les Brett qui viennent ternir le goût du vin. Une autre caractéristique se manifeste de manière récurrente, il s’agit de la présence de gaz ou de bulles dans le vin. On dit que le vin est « perlant ». En aérant le vin, le gaz disparaît rapidement, ce qui n’en fait pas un défaut. A ce propos, on aperçoit parfois au restaurant certaines personnes secouer leur bouteille ou leur verre de vin pour libérer le gaz présent.

En outre, un léger sulfitage offre une protection au vin contre le risque d’une refermentation en bouteille (à l’origine du caractère perlant). L’ajout de sulfites l’immunise aussi contre un épuisement accéléré évitant de rendre le vin « plat » au bout de quelques mois.


Quand utilise t-on le soufre en vinification ?


  • Au moment de la vendange, le soufre permet de désinfecter les raisins et de prévenir toute oxydation, départ en fermentation non contrôlé ou action de levures non désirées.

  • Au moment de fouler les raisins : le foulage est l’opération qui consiste à faire éclater les raisins pour en extraire le jus. Elle permet l’extraction des colorants et des tanins entre autres. L’usage de soufre bloque l’action des levures naturelles et permet l’ajout de levures sélectionnées qui préviennent toute déviance aromatique.

  • Au moment de soutirer les vins : le soutirage correspond au passage du vin d’un contenant à un autre : d’un fût à un autre fût ou d’un fût à une cuve par exemple. Ce transvasement sert généralement à séparer le vin de ses lies. Il est aussi utilisé lors de l’assemblage pour réunir plusieurs fûts dans une même cuve. Lors de cette opération, le vin risque un contact trop important avec l’air, le soufre lui assure une protection contre l’oxydation.

  • Lors de la mise en bouteille : on entend souvent les vignerons parler de sulfitage « à la mise », c’est-à-dire l’adjonction de soufre au moment où le vin est embouteillé. L’usage du dioxyde de soufre à cette étape est le plus courant. Il permet au vin de se stabiliser et lui garantit de pouvoir vieillir sans s’oxyder.



Quelques repères sur les doses de soufre autorisées


Doses de soufre maximales autorisées selon les certifications en mg/L de vin.


On remarquera que les vins rouges nécessitent des doses de soufre moins élevées car ces vins macèrent avec la peau de leurs raisins qui libèrent des antioxydants naturels. A contrario, les vins blancs sont directement pressés et ne restent donc pas en contact avec la peau de leurs raisins.



Pourquoi y a-t-il débat ?


Le soufre est au centre des critiques pour deux raisons. La première est de l’ordre gustatif : le S02 ne permet pas au vin de s’exprimer totalement et limite sa puissance aromatique. Ensuite, il est régulièrement pointé du doigt car il a tendance à provoquer des maux de tête et des rougeurs pour les personnes intolérantes ou allergiques.

De ces constations découle une nouvelle ligne de séparation entre les vignerons dits « nature » et les autres vignerons faisant usage du soufre normalement. En effet, le non usage du SO2 est un élément clé dans le cahier des charges des vins naturels. A ce jour, il n’existe pas de certification unique pour les vins nature. On trouve plusieurs cahiers des charges : AVS (Association des Vins Naturels), S.A.I.N.S (Sans Aucun Intrant Ni Sulfites) et « Vin Méthode Nature » (dernier label apparu et premier à être officiellement certifié depuis mars 2020). Schématiquement, on peut résumer le vin nature à la formule suivante :


Vin Nature = Agriculture biologique ou biodynamique

+ Vendanges manuelles

+ Levures naturelles (également appelées indigènes)

+ Aucun intrant ou technique corrective œnologique lors de la vinification

+ Aucun soufre ou à dose très faible (moins de 30mg/L) lors de la vinification


Les vignerons nature sont semblables à des équilibristes toujours proches de basculer dans les défauts aromatiques du vin. Ainsi, cette méthode se révèle très exigeante et demande une maîtrise parfaite, une propreté irréprochable et une qualité des raisins exceptionnelle. Les défenseurs de ce type de vin mettent en avant son caractère plus digeste, plus léger, plus aromatique ainsi que sa faculté à retranscrire plus fidèlement le terroir. Il s’agit de conserver le caractère vivant du vin sans altérer sa vie bactérienne.


Aujourd’hui, la tendance est à un usage modéré du soufre. Les sulfites employés à dose homéopathique évitent au dégustateur de mauvaise surprise ! Il faut saluer cette dynamique vers des vins propres et vivants.


Quelques vins dits « nature » chez Gegeor :

-Domaine Marcel Lapierre, Cuvée Tradition, Morgon Rouge 2019 – 26€ TTC

-Domaine Nicolas Chemarin, Ptit Grobis, Beaujolais Villages, Rouge 2017 – 17€ TTC

-Domaine Jean-Louis Pinto – Danslezétoiles – Vin de France – Rouge 2017 – 22€ TTC

-Château Pré Vert – Coccolithe – Blanc 2019 – 16€ TTC

-Franck Cornelissen – Susucaru Rosso – Rouge 2017 – 22€ TTC

-Patrick Bouju - Cuvée M - Blanc 2018 - 24€ TTC